Bragado, Argentine. 10 février 2003. 5 550. “Terre Plate”.

Hoa, quetal !

ça y est, nous venons de traverser l'Océan, non pas a vélo comme on nous le demande souvent, mais bel et bien par la voie des airs, et attention, pas n'importe comment. Nous nous sommes quand même retrouvés en 1ere classe chez British Airways, nous, les broussards pas lavés depuis quatre jours. D'ailleurs le steward nous a très britishement fait remarquer que nos voisins s'étaient plaint de nos odeurs de pieds apparemment peu agréables, et qu'ils nous priaient de bien vouloir enfiler les chaussettes parfumées destinées à ces cas extrêmes.

Pas à pas, ou pneu à pneu, nous découvrons l'Argentine, ce pays dont finalement nous ne savions rien, hormis qu'il s'étend des tropiques à l'Antarctique, qu'il est la patrie de Maradona et du Che, ainsi que le plus gros producteur de viande de vache au monde.

Finalement, à l'arrivée nous sommes plutôt surpris, étouffés par la chaleur moite de cet été, car nous sommes maintenant dans l'autre hémisphère. Après avoir remonté nos vélos sans trop de casse, nous tentons de rejoindre Buenos Aires, par l’autoroute à dix voies de l'aéroport. Nous en sortons quand même entiers grâce a l'aide de la police de la route, “à vot service”. La capitale argentine ressemble à une ville américaine, avec son quadrillage bien régulier et ses larges avenues, pourtant les gens y vivent comme des européens, et quelque chose étonne. Ces sourires, cet intérêt manifeste pour notre périple, cet accueil spontané, non, vraiment c'est un autre monde.

C'est au 1584 de la Caille Chile, que nous rencontrons Oscar et Jorge Vidalo, les deux directeurs de la “Escuela de Circo Criollo”. Le Criollo, c'est le nom donné a cette forme typique du cirque argentin, qui mêle le cirque au théâtre, et ce, depuis plus de 200 ans. Hélas, l'avènement de l'ère télévisuelle a vu cette forme d'art populaire disparaître lentement. Aujourd'hui, les deux frères du "Circo Hermano Vidallo", fiers descendants d'une grande famille de cirque, véritables enfants de la balle, peuvent se targuer de diriger la deuxieme ecole de cirque d'Amérique du sud, après Cuba. La soixantaine passée, ils y enseignent avec passion les acrobaties, le trapèze, l'équilibre, le jonglage, le mime, et les clowneries en tous genres. Et quand Jorge, 63 ans, tient son poirier parfait sur une chaise, on se dit que le cirque ça conserve.

Finalement, pour fuir un peu la chaleur de la monstrueuse mégalopole avec ses 13 millions d'habitants, nous avons repris la route, abattant plus de 100 km d'une traite. Nous nous sommes plongés au cœur de la Pampa, cette étrange " Terre Plate" des indiens Querandies, Ranqueles ou Araucanos, tous massacrés par les conquistadors. Les prairies d'herbe s'étendent à perte de vue, une sorte de Beauce mais plus sauvage, avec ses vaches noires, ses innombrables espèces de volatiles et d'insectes et des habitants souriants et bavards.

A Norberto de la Riestra, nous sommes accueillis par Patricia la marchande de la station service qui tient absolument à nous réhydrater a coup de bière locale. Suit ensuite un interrogatoire passionné avec les “huiles” locales avant de passer la nuit chez Juan Dominguo. Le lendemain, notre passage à 25 de Mayo (drôle de nom pour une ville mais, c'est la fête de l'indépendance, en 1810), provoque un rassemblement de chicos qui s'essaient avec plus ou moins de succès aux différentes disciplines de notre atelier de jongle.

Côté cuisine, nous sommes encore gâtes, pour ne pas changer. Les vaches abondent et sont bien vite découpées pour finir sur les “Parillas”, ces grills qui bordent toutes les routes argentines. Très consistant bien qu'un peu gras. Bien sûr, n'oublions pas le “Mate”, la boisson nationale, cette herbe fortifiante du Paraguay que tout bon argentin se doit de boire du matin au soir. On en remplit une calebasse et on verse au fur et à mesure de l'eau chaude, mais pas bouillante, et l'on absorbe le tout a l'aide d'une pipe de métal, la “Bombilla”. Un peu spécial au début mais on s'y fait.

Aujourd’hui, nous nous apprêtons à donner notre premier spectacle argentin, a l'hôpital de Bragado, petite bourgade un peu perdue mais accueillante.

Ciao, Hasta Luego

San Rafael, Argentine. 18 février 2003. 6 100 km. “La Complainte du Prisonnier”.

Hola quetal ?

Nous vous avions quitté à Bragado il me semble, dans la Provincia de Buenos Aires. Que d'aventures depuis, sous le soleil de plomb de l'Argentine. Chaque jour nous découvrons un peu plus la “solidaria” argentine, sur fond de crise économique. Depuis décembre 2001, le pesos argentin a vu sa valeur divisée par trois. Ce qui se révèle plutôt une bonne surprise pour nous est une vrai calamité pour les habitants. Imaginez la vie en France avec un salaire moyen de 400 euros.

Lundi 10 février, Bragado, Hogar Saint Luis : Les “hogars”, ce sont les maisons de retraites locales. Nous venons d'y présenter notre spectacle, les deux journaux du coin et le cable local se sont même déplacés pour “l'évènement”. En passant la nuit ici, nous avons pu constater le réel manque de moyens et les terribles conditions de vie des anciens, heureusement adoucies par la gentillesse et le dévouement des infirmières. Il est minuit passé quand Martin, le frère de Claudia, infirmière de garde, vient nous chercher pour nous faire visiter la ville. Les Argentins vivent la nuit, une excellente occasion de goûter un grand cru de Mendoza et de reprendre les vieux tubes argentins à la guitare.

Mardi 11 février, Mors una hacienda : Depuis Junin, nous suivons la Ruta 188, sept cent km qui vont nous mener à San Rafael, au pieds des Andes. Ici, on oublie courbes, virages et autres zig-zags. Je ne veux voir qu'une tête. Le vent d'Est nous pousse à travers les herbes folles, les champs de maïs, de tournesols et les prairies à vaches. La Pampa ne nous laisse pas une place pour la tente. Depuis une dizaine d'années, la région est victime d'inondations provenant de pluies excessives issues des nuages bloqués par les Andes. Il nous semble parfois pédaler sur un long ponton, et si le vent se lève on s'imagine au bord de la mer. Les canards sauvages, les oies, aigrettes, et autre volatiles s'en donnent à cœur joie, avant de s'enfuir dans un bouillonnement de plumes quand un cycliste se jette à l'eau pour se décrasser. Les nuits " pampaises " sont un véritable concerto : croassements, hululements, bourdonnements, et quantité de bruits aux auteurs indéfinis, du claquement de petites cuillers, au battement cardiaque, en passant par le tambourin. Luttant avec les hordes de moustiques nous observons les éclairs dansant dans le lointain. Trois orages immenses, encore inaudibles, couvrent la prairie, illuminant les nuages de leurs éclats soudains, un véritable blitzkrieg climatique. La nuit, notre Ziggy de tente sera sauvée de l'inondation par une courageuse intervention de Seb pour remettre en place le double toit.

Mercredi 12 février, Lincoln : C'est sous une salve d'applaudissements, de sourires, d'encouragements et de questions, que nous ressortons de la maison de retraite, couverts par les flashs de Jorge et ses trois appareils. Chaque petite ville semble avoir ses propres organes de presse, télé, radio, journal, prêts à sauter sur le moindre évènement. Plus tard, c'est avec Gaston, le fils de Jorge, que nous goûterons aux “empanadas”, spécialité argentine (pâtés à la viande et aux légumes). Il parle un français impeccable, et pour cause, il est prof de Tango à Ajaccio et n'attend que son précieux visa pour repartir.

Jeudi 13 fevrier, Ameghino, caserne des Bomberos : Nous avons à peine parcouru 10 m dans le “pueblo” (village) que les représentants de la mairie nous arrêtent. Nous tombons en plein festival annuel de la ville et sommes reçus comme des VIP par la municipalité. Au programme, match de polo, ballade à cheval, dégustation de “Dulce de Leche” (confiture de lait, un must argentin), restaurant au frais de la princesse (encore de la viande, buena carne !).

Le soir, nous assistons au spectacle de José et Luis des vrais clowns argentins, des pros, à côté desquels nos petits tours de passe passe font un peu pale figure. Nous les retrouvons bien plus tard pour une séance de jonglage privée, après que les jeunes du bar se soient mis en tête de nous réhydrater à grandes rasades de Quilmes (la biere de la Pampa). Nous arrivons quand même à dormir...dans la caserne des pompiers, les “bomberos”, réveillés le lendemain par la télé locale.

Vendredi 14 fevrier, General Villago : Cette nuit le vent a tourné, fini le tapis roulant, bonjour la lutte. Notre vitesse s'en trouve réduite de moitié. Nous passons la journée à combattre les semi-remorques comme un surfeur remonte les vagues. Lancés à pleine vitesse, ils nous saluent de grand coups de klaxon avant de nous envoyer une violente rafale de vent et de gaz d'échappement.

Samedi 15 février, Realico, Commissariat de la Pampa : Cette nuit nous sommes installés dans le garage du commissariat. Nous sympathisons avec Jesus et Dario, emprisonnés depuis 4 mois. Nous échangeons cigarettes et maté à travers les barreaux et arrivons même à leur faire passer de la bière en douce. Très vite jonglage et magie animent la soirée. Les policiers s'essayent aux massues sous le regard hilare des detenus. Plus tard Jesus empoigne sa guitare et entonne les mélodiques complaintes des “auchos” (cow-boys de la Pampa) déchus. José, sergent de police et chanteur de “Cumbia” à ses heures perdues le rejoint bientôt. Le prisonnier et son geôlier accoudés aux barreaux pour unir leur voix ; une image qui restera gravée dans nos carnets de voyage.

Dimanche 16 février, Chamaico, cuisine de la Policia : Trois jours que nous luttons contre le vent d'Ouest. Nous quittons enfin la provincia de Buenos Aires pour entrer dans celle de la Pampa. Le paysage se fait plus sec, et les minuscules pueblos, perdus dans cet océan de prairie sont espacés de dizaines de km. Chaimaico est un pueblo, ou plutôt un pueblito de huit “casas” (maisons) gravitant autour d'un poste de police de la route. Nos tours amusent beaucoup Brenda et Anna, les deux fillettes du commissaire et pour nous remercier on nous offre empanadas et vin, brassé au pied s'il vous plaît.

Mardi 18 fevrier, San Rafael : La route, la route. Inexorablement, elle poursuit son chemin vers le mur andin, que nous n'apercevons toujours pas. Asphalte, vaches, champs, poteaux électriques, prairies, prairies, tel est notre menu quotidien. Deux jours nous seront ensuite nécessaires pour traverser le désert buissonnant qui sépare la fin de la Provincia de San Luis de General Alvear.

Comme vous le voyez, toujours pas le temps de s'ennuyer. Demain, nous attaquerons les Andes et nous préparons déjà nos mollets en perspective.

Ciao, Suerte

Bragado, Argentine. 10 février 2003. 5 550. “Terre Plate”.

Hoa, quetal !

ça y est, nous venons de traverser l'Océan, non pas a vélo comme on nous le demande souvent, mais bel et bien par la voie des airs, et attention, pas n'importe comment. Nous nous sommes quand même retrouvés en 1ere classe chez British Airways, nous, les broussards pas lavés depuis quatre jours. D'ailleurs le steward nous a très britishement fait remarquer que nos voisins s'étaient plaint de nos odeurs de pieds apparemment peu agréables, et qu'ils nous priaient de bien vouloir enfiler les chaussettes parfumées destinées à ces cas extrêmes.

Pas à pas, ou pneu à pneu, nous découvrons l'Argentine, ce pays dont finalement nous ne savions rien, hormis qu'il s'étend des tropiques à l'Antarctique, qu'il est la patrie de Maradona et du Che, ainsi que le plus gros producteur de viande de vache au monde.

Finalement, à l'arrivée nous sommes plutôt surpris, étouffés par la chaleur moite de cet été, car nous sommes maintenant dans l'autre hémisphère. Après avoir remonté nos vélos sans trop de casse, nous tentons de rejoindre Buenos Aires, par l’autoroute à dix voies de l'aéroport. Nous en sortons quand même entiers grâce a l'aide de la police de la route, “à vot service”. La capitale argentine ressemble à une ville américaine, avec son quadrillage bien régulier et ses larges avenues, pourtant les gens y vivent comme des européens, et quelque chose étonne. Ces sourires, cet intérêt manifeste pour notre périple, cet accueil spontané, non, vraiment c'est un autre monde.

C'est au 1584 de la Caille Chile, que nous rencontrons Oscar et Jorge Vidalo, les deux directeurs de la “Escuela de Circo Criollo”. Le Criollo, c'est le nom donné a cette forme typique du cirque argentin, qui mêle le cirque au théâtre, et ce, depuis plus de 200 ans. Hélas, l'avènement de l'ère télévisuelle a vu cette forme d'art populaire disparaître lentement. Aujourd'hui, les deux frères du "Circo Hermano Vidallo", fiers descendants d'une grande famille de cirque, véritables enfants de la balle, peuvent se targuer de diriger la deuxieme ecole de cirque d'Amérique du sud, après Cuba. La soixantaine passée, ils y enseignent avec passion les acrobaties, le trapèze, l'équilibre, le jonglage, le mime, et les clowneries en tous genres. Et quand Jorge, 63 ans, tient son poirier parfait sur une chaise, on se dit que le cirque ça conserve.

Finalement, pour fuir un peu la chaleur de la monstrueuse mégalopole avec ses 13 millions d'habitants, nous avons repris la route, abattant plus de 100 km d'une traite. Nous nous sommes plongés au cœur de la Pampa, cette étrange " Terre Plate" des indiens Querandies, Ranqueles ou Araucanos, tous massacrés par les conquistadors. Les prairies d'herbe s'étendent à perte de vue, une sorte de Beauce mais plus sauvage, avec ses vaches noires, ses innombrables espèces de volatiles et d'insectes et des habitants souriants et bavards.

A Norberto de la Riestra, nous sommes accueillis par Patricia la marchande de la station service qui tient absolument à nous réhydrater a coup de bière locale. Suit ensuite un interrogatoire passionné avec les “huiles” locales avant de passer la nuit chez Juan Dominguo. Le lendemain, notre passage à 25 de Mayo (drôle de nom pour une ville mais, c'est la fête de l'indépendance, en 1810), provoque un rassemblement de chicos qui s'essaient avec plus ou moins de succès aux différentes disciplines de notre atelier de jongle.

Côté cuisine, nous sommes encore gâtes, pour ne pas changer. Les vaches abondent et sont bien vite découpées pour finir sur les “Parillas”, ces grills qui bordent toutes les routes argentines. Très consistant bien qu'un peu gras. Bien sûr, n'oublions pas le “Mate”, la boisson nationale, cette herbe fortifiante du Paraguay que tout bon argentin se doit de boire du matin au soir. On en remplit une calebasse et on verse au fur et à mesure de l'eau chaude, mais pas bouillante, et l'on absorbe le tout a l'aide d'une pipe de métal, la “Bombilla”. Un peu spécial au début mais on s'y fait.

Aujourd’hui, nous nous apprêtons à donner notre premier spectacle argentin, a l'hôpital de Bragado, petite bourgade un peu perdue mais accueillante.

Ciao, Hasta Luego

San Rafael, Argentine. 18 février 2003. 6 100 km. “La Complainte du Prisonnier”.

Hola quetal ?

Nous vous avions quitté à Bragado il me semble, dans la Provincia de Buenos Aires. Que d'aventures depuis, sous le soleil de plomb de l'Argentine. Chaque jour nous découvrons un peu plus la “solidaria” argentine, sur fond de crise économique. Depuis décembre 2001, le pesos argentin a vu sa valeur divisée par trois. Ce qui se révèle plutôt une bonne surprise pour nous est une vrai calamité pour les habitants. Imaginez la vie en France avec un salaire moyen de 400 euros.

Lundi 10 février, Bragado, Hogar Saint Luis : Les “hogars”, ce sont les maisons de retraites locales. Nous venons d'y présenter notre spectacle, les deux journaux du coin et le cable local se sont même déplacés pour “l'évènement”. En passant la nuit ici, nous avons pu constater le réel manque de moyens et les terribles conditions de vie des anciens, heureusement adoucies par la gentillesse et le dévouement des infirmières. Il est minuit passé quand Martin, le frère de Claudia, infirmière de garde, vient nous chercher pour nous faire visiter la ville. Les Argentins vivent la nuit, une excellente occasion de goûter un grand cru de Mendoza et de reprendre les vieux tubes argentins à la guitare.

Mardi 11 février, Mors una hacienda : Depuis Junin, nous suivons la Ruta 188, spet cent km qui vont nous mener à San Rafael, au pieds des Andes. Ici, on oublie courbes, virages et autres zig-zags. Je ne veux voir qu'une tête. Le vent d'Est nous pousse à travers les herbes folles, les champs de maïs, de tournesols et les prairies à vaches. La Pampa ne nous laisse pas une place pour la tente. Depuis une dizaine d'années, la région est victime d'inondations provenant de pluies excessives issues des nuages bloqués par les Andes. Il nous semble parfois pédaler sur un long ponton, et si le vent se lève on s'imagine au bord de la mer. Les canards sauvages, les oies, aigrettes, et autre volatiles s'en donnent à cœur joie, avant de s'enfuir dans un bouillonnement de plumes quand un cycliste se jette à l'eau pour se décrasser. Les nuits " pampaises " sont un véritable concerto : croassements, hululements, bourdonnements, et quantité de bruits aux auteurs indéfinis, du claquement de petites cuillers, au battement cardiaque, en passant par le tambourin. Luttant avec les hordes de moustiques nous observons les éclairs dansant dans le lointain. Trois orages immenses, encore inaudibles, couvrent la prairie, illuminant les nuages de leurs éclats soudains, un véritable blitzkrieg climatique. La nuit, notre Ziggy de tente sera sauvée de l'inondation par une courageuse intervention de Seb pour remettre en place le double toit.

Mercredi 12 février, Lincoln : C'est sous une salve d'applaudissements, de sourires, d'encouragements et de questions, que nous ressortons de la maison de retraite, couverts par les flashs de Jorge et ses trois appareils. Chaque petite ville semble avoir ses propres organes de presse, télé, radio, journal, prêts à sauter sur le moindre évènement. Plus tard, c'est avec Gaston, le fils de Jorge, que nous goûterons aux “empanadas”, spécialité argentine (pâtés à la viande et aux légumes). Il parle un français impeccable, et pour cause, il est prof de Tango à Ajaccio et n'attend que son précieux visa pour repartir.

Jeudi 13 fevrier, Ameghino, caserne des Bomberos : Nous avons à peine parcouru 10 m dans le “pueblo” (village) que les représentants de la mairie nous arrêtent. Nous tombons en plein festival annuel de la ville et sommes reçus comme des VIP par la municipalité. Au programme, match de polo, ballade à cheval, dégustation de “Dulce de Leche” (confiture de lait, un must argentin), restaurant au frais de la princesse (encore de la viande, buena carne !).

Le soir, nous assistons au spectacle de José et Luis des vrais clowns argentins, des pros, à côté desquels nos petits tours de passe passe font un peu pale figure. Nous les retrouvons bien plus tard pour une séance de jonglage privée, après que les jeunes du bar se soient mis en tête de nous réhydrater à grandes rasades de Quilmes (la biere de la Pampa). Nous arrivons quand même à dormir...dans la caserne des pompiers, les “bomberos”, réveillés le lendemain par la télé locale.

Vendredi 14 fevrier, General Villago : Cette nuit le vent a tourné, fini le tapis roulant, bonjour la lutte. Notre vitesse s'en trouve réduite de moitié. Nous passons la journée à combattre les semi-remorques comme un surfeur remonte les vagues. Lancés à pleine vitesse, ils nous saluent de grand coups de klaxon avant de nous envoyer une violente rafale de vent et de gaz d'échappement.

Samedi 15 février, Realico, Commissariat de la Pampa : Cette nuit nous sommes installés dans le garage du commissariat. Nous sympathisons avec Jesus et Dario, emprisonnés depuis 4 mois. Nous échangeons cigarettes et maté à travers les barreaux et arrivons même à leur faire passer de la bière en douce. Très vite jonglage et magie animent la soirée. Les policiers s'essayent aux massues sous le regard hilare des detenus. Plus tard Jesus empoigne sa guitare et entonne les mélodiques complaintes des “auchos” (cow-boys de la Pampa) déchus. José, sergent de police et chanteur de “Cumbia” à ses heures perdues le rejoint bientôt. Le prisonnier et son geôlier accoudés aux barreaux pour unir leur voix ; une image qui restera gravée dans nos carnets de voyage.

Dimanche 16 février, Chamaico, cuisine de la Policia : Trois jours que nous luttons contre le vent d'Ouest. Nous quittons enfin la provincia de Buenos Aires pour entrer dans celle de la Pampa. Le paysage se fait plus sec, et les minuscules pueblos, perdus dans cet océan de prairie sont espacés de dizaines de km. Chaimaico est un pueblo, ou plutôt un pueblito de huit “casas” (maisons) gravitant autour d'un poste de police de la route. Nos tours amusent beaucoup Brenda et Anna, les deux fillettes du commissaire et pour nous remercier on nous offre empanadas et vin, brassé au pied s'il vous plaît.

Mardi 18 fevrier, San Rafael : La route, la route. Inexorablement, elle poursuit son chemin vers le mur andin, que nous n'apercevons toujours pas. Asphalte, vaches, champs, poteaux électriques, prairies, prairies, tel est notre menu quotidien. Deux jours nous seront ensuite nécessaires pour traverser le désert buissonnant qui sépare la fin de la Provincia de San Luis de General Alvear.

Comme vous le voyez, toujours pas le temps de s'ennuyer. Demain, nous attaquerons les Andes et nous préparons déjà nos mollets en perspective.

Ciao, Suerte

Santiago, Chili. 7 mars 2003. 7 000 km. “Loco Payasos”.

Hola todos !

Nous sommes au Chili depuis quelques jours, et nous y profitons d'un repos bien mérité, après une traversée des Andes épuisante mais pleine de surprises, de rencontres, et de paysages inoubliables.

A San Rafael en Argentine, où nous vous avions quittés le 18 février, nous avons rencontré quatre jongleurs argentins de Mendoza, qui financent leur vacances de façon originale. Postés à un carrefour, ils exécutent pendant le temps très bref du feu rouge, un époustouflant numéro de jonglage devant les automobilistes qui attendent. Un comparse grimé en clown rythme le tout aux percussions, et se faufile entre les voitures pour récupérer la monnaie. C’est plus amusant que de travailler sur un chantier et ca rapporte plus nous expliquent-ils! S'en est suivie une mémorable soirée, où la recette du jour a été rapidement engloutie en “Vino Tinto”, un vin rouge local très doux. Le lendemain nous avons continué en partageant une parilla, un barbecue, de côtelette, cœur, tripes et mamelle de vache!

Poursuivant vers la cordillière, nous attaquons en guise d 'échauffement la “Valle Grande”, succession de lacs de retenu resserrés au creux de profondes vallées. Le chemin caillouteux n'est pas des plus faciles, et nous oblige à faire un détour d'une centaine de kilomètres sous une chaleur écrasante, mais les somptueux paysages qui s'offrent à nous récompensent tous nos efforts. Nous traversons ensuite les canyons arides de l'Atuel, dont les roches blanches et torturées semblent avoir été ficelées et saucissonnées par le vent et l'eau. Le lendemain, répit de courte durée sur l'asphalte de la ruta 144, traversant un vaste plateau désertique d'herbes folles, au bout duquel se profilent, fantomatiques, les ombres des Andes aux neiges éternelles. Le soir, au poste de contrôle sanitaire d'El Sosneado, nouvelle parilla avec les contrôleurs et les policiers, avant que ces derniers, véritables Starsky et Hutch de la pampa, ne s'élancent toutes sirènes hurlantes à la poursuite d'un cheval fou encombrant la route. Peu à peu, nous pénétrons dans le pays des gauchos, couteau à la ceinture, sombrero vissé sur la tête, lasso en bandoulière et éperons au talon des Nike.

A Malargue, les montagnes sont tellement proches qu'il nous semble pouvoir les toucher du bout des doigts. Après un dernier spectacle donné à l'hôpital, plus regardé par les visiteurs que par les pensionnaires, nous attaquons notre première journée de montée le lendemain sous une chaleur accablante. Très vite le goudron cède la place aux éboulis, et à une piste de pierres, qui a tout de la tôle ondulée. En fin d'après midi le vent d'ouest se lève, il ne faiblira plus pendant les trois jours suivants qui resteront les plus durs, mais les plus beaux depuis notre départ. Le soir venu, nous avons la fierté de penser que nous avons bien mérité de contempler l'extraordinaire beauté de la vallée verdoyante où nous nous installons. Jamais le ciel ne nous a paru aussi étoilé. A l'aube le soleil éclaire les flancs des vallées une à une, long préambule à une chaude journée. Nous suivons le cours du “rio Chico” qui bouillonne au fond de vallées escarpées. D'immenses troupeaux paissent dans les prairies verticales, dans un silence que seul vient troubler le vent charriant des nuages de poussière.

Quand le couchant embrase le ciel d'un incendie de nuages roses, nous descendons de nos vélos harassés par une journée de secousses, vibrations et autres tremblements. Surgissant du haut de sa montagne, Aurelio, le “Loco Lelo” nous salue d'un large coup de sombrero, de toute sa superbe, tel un Don Quichotte des Andes. Il appartient à cette race de cavaliers magnifiques que sont les gauchos, ces cow-boys argentins. Il nous fait traverser le rio à cheval, pour rejoindre le camp d'été qu'il partage avec Diego, au milieu de leurs quelques 1600 têtes de bétail. Pour l'occasion, il sacrifie un agneau, dont nous partageons la viande tendre, grillée au feu de bois. La nuit venue, nous nous endormons sur les selles des chevaux, sous de multiples couches de couvertures.

Le lendemain nous franchissons le col de Pehuinche, au terme d'une infernale montée à pic, dans la caillasse et le sable, sous des rafales de vent glacé. Géographiquement nous sommes maintenant au Chili, mais il nous faudra encore tout l'après midi pour contourner les eaux d'un bleu profond de l'immense laguna Maule. Au terme d'une des journées les plus difficiles de notre voyage, nous sommes à nouveau accueillis dans un poste de contrôle sanitaire. Hors de question toutefois de franchir la frontière avec nos légumes et notre cuisse d'agneau, cadeaux de Loco Lelo. Qu'à cela ne tienne, les deux papys du poste nous préparent un feu et agrémente notre repas de truites du lac, saucisses, patates douces, le tout arrosé de grandes rasades de “Pisco”, l'alcool national chilien, un alcool de vin de muscat, à boire glacé.

Enfin, nous entamons une longue descente de 2000 mètres de dénivelée, qui nous mène au Pacifique. La route est si mauvaise, qu'à chaque secousse, nous redoutons que nos vélos ne volent en éclat, et nous avec, mais nous nous en sortons plutôt bien, avec seulement deux crevaisons et un pneu déchiré pour Seb. Le paysage se fait moins aride, et nous terminons la journée dans la bien nommée “Suisse chilienne”, entre les champs de mûres et de pommes.

Au matin du jour suivant, pour la première fois, nos routes se séparent, car Val fonce à Santiago pour accueillir Michèle, sa copine. La capitale est une ville immense, posée aux pied des Andes, où circulent des dizaines de bus hystériques, dans une foule très métissée. Les “Mapuches”, indiens natifs, sont encore très présents. L'animation des rues et des petits commerces contraste fortement avec l'Argentine, et le niveau de vie est bien plus élevé, avec apparemment de grandes disparités sociales.

Michèle et Val filent à Valparaiso, à une centaine de kilomètres de la capitale. La ville est plongée dans une paisible retraite, l'ancien port des cap-horniers n'est plus, et seules restent les collines encerclant la ville, et les maisons colorées qui dégringolent vers le Pacifique, telle une cascade de dominos multicolores. Pendant ce temps, Seb panse ses blessures chez Keno, un photographe du journal “El Centro” de Talca, croisé à la frontière argentine.

Finalement tout le monde se retrouve chez Fabio, dessinateur et caricaturiste, avant que Val et Michèle ne partent vers Puerto Montt, ses lacs et ses volcans, pendant que Seb écumera les villes de la côte centrale, mais rassurez vous, nous nous retrouverons tous les deux pour continuer le voyage.

Hasta luego,