Reinier Staats, luthier médieval. Ecouter le psalterion (clic droit "enregistrer la cible du lien sous")
Lundi 11 novembre. Sorède, Pyrénées Occidentales, France. 900 km

« RRRRRRaillenirrrrre, RRRRRRRaillenirrrre », hurle l’intéressé, dangereusement penché par une trappe de son atelier qui débouche sur le petite rue pavée et inondée de soleil. Même après plus de 30 ans en France, la prononciation à l’hollandaise de son prénom semble toujours rester un mystère pour la majorité des gens. Reinier Staats, 57 ans, semble avoir été taillé dans la même roche que la chaîne des Albert qui surplombe la ville. Du haut de ses deux mètres, ces deux énormes paluches posées sur une impressionnante ceinture abdominale bien rebondie, il nous accueille dans son « Jardin Musical ».
C’est la veille que nous avons rencontré l’artiste, au Mas Cala, la toute nouvelle maison du père du Seb, Yves Keruel, tranquillement blottie au pied du Mont Canigou. Nous y sommes arrivés juste à temps pour présenter notre voyage lors de la journée portes ouvertes de l’association « Un Rayon de Soleil », nouvellement créée par Yves. Timidement, nous en profitons pour présenter nos quelques tours de jongle et de magie, pour la troisième seulement. Dans les rangs de la petite foule attentive, se tenait Reinier, coiffé de son chapeau à plume et de son inévitable chemise à carreau, qui, s’il avait été barbu, lui aurait immédiatement donné l’aspect d’un véritable bûcheron canadien. Peu après, au coin du feu, il nous présente son instrument fétiche : le Psalterion.
Descendant du Q’Anum, l’instrument, trapézoïdal puis triangulaire, se développe d’abord au Moyen-Orient avant que les croisés le fasse découvrir en Europe aux alentours du onzième siècle. Plus tard, le terme désigne indifféremment tous les instruments à cordes destinés à jouer les psaumes, et aujourd’hui, il constitue une appellation générique pour la famille des cithares sur table. Habituellement pincé ou joué à l’aide d’un plectre, c’est avec un archer que Reinier a choisi de faire revivre les vieilles mélodies occitanes oubliées.
Reinier s’est pris de passion pour la lutherie il y a huit ans et s’est lancé depuis quelques années dans la fabrication d’instruments à cordes médiévaux, le Psalterion bien sûr, diatonique, soprano, alto, ténor, mais aussi la fameuse vièle ou encore le Rebec, souvent considéré comme un des précurseurs du violon. Ce dernier lui a d’ailleurs valu le prix annuel de la Société d'Encouragement des Métiers d'Arts, ainsi qu’un beau reportage de France 3 où on le voit gratouiller ses trois cordes en entonnant une complainte de troubadour très personnelle.
C’est par un escalier de bois aux planches vermoulues que l’on accède à l’atelier du maître, vaste fatras où s’entrechoquent pêle-mêle chutes de bois, outils, caisses soutenues par leurs cales, instruments finis, ampoules, pots de vernis, cartons, tableaux et croquis soulevés par une subite bourrasque qui vient déranger un couple de mésanges qui avaient confortablement installé leur nid sous une pancarte « vallée propre ». La vie de Reinier ressemble un peu à cet atelier, un gigantesque bric à brac d’expériences enrichissantes et incroyable. Né en Hollande en 1945, c’est dans les années soixante qu’il vient s’installer dans une communauté hippie des montagnes avoisinantes. Là commence pour ce menuisier autodidacte une intense période de recherche existentielle, on le retrouve tour à tour lama bouddhiste ou chaman amérindien, expérimentant sous des tipis maisons différentes techniques de Pow-Wow. C’est là haut qu’il a appris à travailler le bois, mieux à le comprendre, c’est presque l’homme qui murmure à l’oreille des arbres. Un jour, il se lance dans la construction de son propre chalet, tout en bois. Quelques années plus tard, il le revend…à un luthier, et c’est lui qui lui fera fabriquer son premier violon.
A ma grande surprise, je découvre que ce n’est que récemment qu’un de ses ami lui a apprit à jouer des instruments qu’il fabrique. Le luthier lui, manie le bois, pas les cordes, d’où l’importance d’une étroite relation avec la nature, la forêt et ses multiples essences : le ténor du poirier, l'alto généreux de l'érable, le soleil du frêne, la richesse du son de l'épicéa, la clarté du cerisier…Là encore, il cherche. Comme Siddhârta au bord du fleuve, il recherche la note, la pureté de l’harmonie, de la vibration. Comme il nous l’explique, le bois se travaille plus avec l’âme qu’avec le cœur.
Reinier est aujourd’hui l’un des rares français à officier dans cet art, ce qui lui vaut de nombreuses commandes de la part de passionnés, de collectionneurs, de groupes folkloriques. Il travaille également avec une musicothérapeute et plus récemment avec la cité de la musique.

Stephano
Samedi 30 novembre. Corral de Cantos, Espagne. 2140 km
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Soleil. Tout paraît tellement plus beau sous la douce chaleur et la lumière du soleil. Nous pénétrons la Sierra de Choritto et ses profondes vallées étouffées de pins dévalant la montagne. Nous rencontrons Stephano assis là, au bord de la route, alors que nous laissons derrière nous Tolède baignée de soleil. « Agua, agua » hurle t’il en me poursuivant. Je m’arrête pour lui prêter ma gourde et je considère un instant le bonhomme : barbe de trois ans, bongos dreads, un bonnet assez long pour servir d’écharpe, un vieux survet bouffé aux mites, une paire de lunettes à la Lennon, un chien galeux, une bâche plastique et un duvet de colo, voilà tout ce dont dispose Stephano. Quelque part, on peut se dire que Stephano s’est un peu perdu en route. Il est parti de Milan un beau jour pour quelques semaines de vacances, et puis, trois ans plus tard, à 25 ans, il n’en est toujours pas revenu, il sillonne peu à peu l’Europe, jusqu’en Hollande (à vélo), puis rejoins la péninsule et pousse même jusqu’au Maroc. Prochaine étape : le Portugal, face à lui, notre dénuement bien organisé nous apparaît un peu ridicule, qu’avons bien nous pu embarquer de si indispensables pour remplir autant de sacoches. Pour gagner sa vie, notre sympathique hippie ne possède en tout et pour tout qu’une simple petite flûte à bec toute peinturlurée. Il n’en fallait pas plus pour pouvoir figurer dans notre bestiaire d’artistes du dehors. Aie, évidemment, un appareil photo, une caméra, bon, il fera une exception due à notre statut de voyageurs exceptionnels. Flûte au bec, il entame une petite ritournelle toute médiévale alors que son chien, fouille gaillardement la terre du bout du museau à la recherche d’un petit complément de repas. Je complète pas à pas les réponses à mes questions alors que Seb a entrepris de tracer le portrait de l’artiste. Hélas pour lui, une voiture s’arrète subitement et notre ami s’y engouffre tout naturellement. Ici le stop semble se passer de mots…

Le Fou de Dieu Voir (clic droit "enregistrer la cible du lien sous")
Dimanche 25 décembre 2002. Marackech, Maroc. 3520 km.

Invariablement, en se laissant voguer au gré des ruelles des souks, on finit toujours par déboucher sur la place Jema El Fnaa, le cœur de la ville. Là, comme dans un festin féodal se croisent charmeurs de serpents (les meilleurs businessmen de la ville), dresseur de singes, orchestre traditionnel, danseuses, acrobates de l’extrêmes, magiciens, comiques…Tout autour, une confrérie de presseurs d’oranges et de vendeurs de fruits secs se partagent les badauds entrant et sortant. Le soir, la place s’enfume de dizaines de barbecue odorants et graillonants. Entre amis, en famille, on s’y attable autour d’un tajine ou de longues brochettes. Parmi tout ce peuple de troubadours, il est une espèce à part. Celle des mystérieux conteurs. Je reste ainsi envoûté par la verve de Thimoune M’Barrek, petit vieillard de 73 ans au crane dégarni et luisant. Scrutant la foule de ses admirateurs dans les yeux, il promène une main noueuse dans les poils de sa barbe rousse, avant de la laisser retomber en claquant sur sa cuisse.
- Allaaaaaah ! se lamente t’il ainsi tout au long de son discours.
Ce tic lui à valu le surnom de fou de Dieu à Jema El Fnaa et dans les souks alentours où il officie depuis 57 ans. Inlassablement, il discoure en arabe. Au son de ses histoires, la foule soupire rie se presse, argumente, commente, approuve, et moi je ne pipe mot, puis le voilà qui s’enroule autour du cou de longs colliers de perles mauves. Soudain, il se dresse sur un pied tel un étrange échassier en pull vert et pantalon bouffant violet. Chaussettes au vent, il s’écrie
- SHAOOLIN !!
Hilarité générale dans la foule. Il reste un moment suspendu, savourant son effet, puis retourne à sa position initiale, à genoux sur le bitume brûlant.
- Tout se qui se laisse conduire par l’esprit de Dieu ce sont les enfants de Dieu. Autrefois vous étiez ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le seigneurs.
Voilà qu’il prêche en français ! Au loin, les tambours et les flûtes reprennent de plus belle.
- L’arc en ciel, sept couleurs. Sept sciences classiques : électronique, chimie, biologie, botanique, géologie, anthropologie, astrologie…et studieusement, il décline chacune des matières à la craie sur le sol.
Intrigué, nous cherchons à en savoir plus, et lorsque la foule commence à se disperser, nous entamons une interview des plus originales.
- De quoi parlez-vous dans vos histoires ?
- Je parle, je cherche. Les sept, les sept lois, les sept secrets, autre chose. Allaaaah.

- Vous parlez de Dieu dans vos histoires ?
- Eheu, chouia…
- Mais ces histoires vous les inventez ou elles sont dans des livres ?
- Allaaaah.
Légèrement désespéré, il scrute la foule qui se resserre autour de nous, puis plonge une main dans un sac de cuir usé jusqu’à la corde, et en ressort un magazine jauni. Lassé de répondre à nos questions idiotes, il préfère nous laisser le soin de chercher nous même les informations dans les articles déjà publiés à son sujet ! Thimoune M’Barek est donc, y aprenons-nous un « numérologue mystique », obsédé par les combinaisons du chiffre sept, il établit des relations entre sciences, poésie, création, couleurs, légendes et religions.
Finalement, alors que, à l’image des autres spectateurs, je m’apprête à lui glisser quelques pièces dans la main, il m’arrête :
- Vous les touristes avez déjà bien assez de dépenses comme ça, avec l’avion, l’hôtel, les restaurants, le bus, les souvenirs, gardez votre argent !
Puis il reprendm penché sur la dernière leçon qu’il récapitule à la craie à même le sol, son crâne luisant à moitié, comme une demi lune :
- Soli, soleil. Blanc, Lundi, Lune. Français classique, premier jour lundi. Le premier jour, Dieu à créé la lumière, l’énergie, les protons…et les électrons. Protons/électrons, plus/moins, positif/négatif. Le Deuxième jour, Dieu a créé les éléments chimique l’eau, l’air, les métaux, les minéraux. C’est à dire les atomes, et les molécules. Atomes, molécules, reprend-il en écrivant au sol. Le troisième jour, Dieu à créé la vie, soit les cellules, euh, vivantes. C’est à dire, le noyau et le cytoplasme. Positif/négatif. Le quatrième jour, Dieu a créé les végétaux…

Mine Zemin voir l'interview
Lundi 13 janvier 2003. Nouakchott, Mauritanie. 4376 km.
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Le lendemain, installé à la terrasse du café de l’Alliance, je sirote mon traditionnel coca de fin de diarrhée en attendant DJ Hach, un des amis de MC. Portant pull et pantalon en plein soleil, bonnet rouge vissé sur la tête, petite lunettes et gros médaillon en argent le voilà notre DJ.
- Venez donc chez moi, j’habite à côté.
Au premier étage d’une maison collective, nous sommes introduit dans un petit appartement inondé de soleil, les tables couverte de napperons, quelques pots de fleurs en plastique pour toute déco, des rideaux rouges claquant doucement au vent, une télé et une antédiluvienne chaîne Hi-Fi. Nous nous installons autour de la table basse, vissons la caméra sur son pied, et entamons une interview en règle de notre artiste.
- Depuis combien de temps rappes tu ?
- Bon, hamdoulillah, là ça fait onze ans que je suis dans le rap tu vois, commence t’il après une petite improvisation de présentation se finissant sur DJ Hach aka from the real !
- De quoi parlent tes textes ?
- Bon, tu vois, moi je suis hardcore, je chante les injustices de ce pays quoi.
- En fait toi tu chantes plutôt les mauvaises choses plutôt que ce qui est bon, questionne Seb tel candide.

- Ouais, mais tu vois, y a rien de bon dans ce pays. Dans ce pays, il y a que de la merde mon frère. Il y en a que pour les blancs, les maures quoi, c’est eux qui ont tout, et nous les noirs, on a rien. Même dans le rap, y en a que pour eux.
En 2001, il sort son premier album « Mine Zemin », Injustices, où il déroule son flow tranquille composé de français, d’anglais, de wolof, de peul, d’hassaniya. Enregistré aux studios Ibou Bâ à Dakar avec un certain Abdullah, cet album est pour lui la consécration d’années d’efforts et de galères dans l’ombre.
- Tu vois, mon père est un pauvre, ma mère, c’est une pauvre. Bon, c’est une famille pauvre quoi, je viens d’une famille pauvre, c’est pour ça que je suis sans compter dans le rap quoi. Au début, ma mère elle voulais que je trouve un vrai boulot tu vois, mais maintenant elle est avec moi à 100 %.
Pour tous les rappeurs du pays, Dakar reste le passage obligé. Toute l’industrie de la musique est accaparé par les musiciens maures traditionnels. Pourtant les choses vont mieux, et notre DJ reviens tout juste d’une tournée de 23 jours à travers le pays grâce au soutien de l’Alliance Française. La France, c’est un objectif à plus long terme, presque un rêve. Nous finissons nos canettes de Coca et grimpons sur le toit pour finir l’interview. En léchant consciencieusement la feuille de son joint DJ Hach reprend.
- Tu vois mes plus gros influences, c’est le rap US, ouais, surtout le East Coast. Tu vois, j’ai découvert le rap avec Run DMC, et aujourd’hui pour moi, le roi c’est Jiggaman, c’est Jay-Z quoi. A franchement parler, le rap français, je kiffe pas.
Pap Sy viens de faire son entrée. C’est un peul au visage très fin, qui aime pincer les fesses des colocatrices. Accroupis dans son jogging bleu impeccable, il se balance doucement dans la lumière de midi au son de son walkman branché sur du Gospel. Pap Sy est coauteur de plusieurs chansons avec DJ Hach, et officie plutôt dans le secteur du Reggae, du Gospel et de la Soul. Nous leur proposons de tourner leur premier clip sur une des chansons qu’il ont co-écrite.
Nous plaçons la camera face à la cage d’escalier en noir et blanc et envoyons la sauce. Nos deux lascars se pointent avec nonchalance durant l’intro, s’asseyent sur les marches et entament ensuite leur couplets respectifs à tour de rôle. Le résultat fait la joie de tout le monde, et nous partageons un plat de riz au poulet épicé avant de nous en repartir vers notre auberge. Si je ne devais retenir qu’un mot de cette rencontre ? Respect.