Leevy, Soeil de Rue Voir (clic droit "enregistrer la cible du lien sous")
Dimanche 17 novembre 2003. Barcelone, Catalogne, Espagne. 1200 km

La capitale catalane regorge d’artistes de rue, profitants de la douceur relative de l’automne ibère. Quelle rue ne possède pas son joueur de flamenco, quelle ruelle ne s’anime pas au son des cuivres, ou de quelque orchestre folk ? Quelle place ne partage pas son paysage sonore entre un violoncelle, un ténor, et un groupe de flûtistes andins ? Quelle artère ne s’agite pas des pérégrinations d’un clown ou d’un jongleur ? Il y a Peter, le joueur de flûte, et ses étonnantes marionnettes géantes ou José, le jeune virtuose du diabolo. Pourtant, selon Mami, une japonaise bohème gravitant entre Amsterdam et Barcelone depuis une vingtaine d’années, la ville se vide peu à peu de ses artistes. On raconte d’ailleurs que Manu Chao lui même, en plein concert de rue, aurait été gentiment prié de déguerpir par la terrible Guardia Civile Le grand nettoyage a commencé dans les années 90 avec les jeux olympiques nous explique notre Yoko Uno, un peu pianiste, un peu muse ou musicienne, de part tout et de nulle part à la fois.
Visés en premier lieu, les artistes de feu, jongleurs et cracheurs. C’est ainsi que la belle Leevy a du laisser ses bolasses enflammées en Finlande. A 26 ans, la danseuse de Soleil subjugue l’avenue toute entière. Deux yeux d’un bleu de glace viennent percer l’or de son maquillage, alors qu’elle s’entoure gracilement de long rubans couleur soleil. Vêtue d’un sari safran, elle danse, indifférente au tumulte de la rue et aux sirènes hurlantes de la Guardia Civile. Lascivement, elle s’encercle d’ellipses et de spirales qui se réduisent bientôt à de souples mouvement de balancier, puis, inlassablement, le pendule d’or reprend sa course. Hypnotisés et amorphes, nous osons à peine interrompre la course du soleil en lui proposant une interview par le biais d’un panneau tenu à bout de bras : « Nostra tema de viaje es los artes de la caille, es possible acer un reportaje ? » (Notre thème de voyage c’est les arts de la rue, on peut faire une interview avec toi ?). Elle nous fait signe de la tête et nous déboulons à ses côté encore tout émoustillés.
Titulaire d’un diplôme de sculpture des beaux arts, elles sillonne l’Europe avec sa troupe d’artistes de feu, mais ici, elle doit se contenter de ce numéro éteint, qui doit autant à l’art maori des Poïs (prononcer Poye, ou bolasse, ces longues chaînes dont les extrémités sont lestées et parfois enflammées), qu’aux danses hindoues et aux peintures africaines.

Circo Carampa Voir (clic droit "enregistrer la cible du lien sous")
Mercredi 27 novembre 2003. Madrid, Espagne. 2000 km

En une heure de recherche nocturne et infructueuse nous n’avons pas avancé d’un iota. Nous sommes à la recherche de l’Abergue Juvenil Richard Schirrmann, dont l’ adresse courante se résume à « Casa del Campo », le plus grand parc de la ville. Nous finissons tout d’abord au SAMU social, où un groupe de sans-abris au regard vide nous laissent comprendre que nous faisons fausse route. Peu après, c’est dans un commissariat que nous terminons. Nous sommes au bord de l’abandon pour la troisième fois quand une sympathique policier [sic] nous apprend qu’il connaît notre auberge, là où il y a « muchas senoritas » ajoute t’il d’ailleurs avec un petit ricanement. Nous sommes donc ravis d’apprendre que de ravissantes petites circassiennes nous y attendent. Mais hélas, en fait de graciles acrobates, c’est une triste et écœurante allée de bikinis et de latex à peine cachés par de longues fourrures que nous trouvons. Ainsi, la Casa del campo n’est que le bois de Vincennes de Madrid, et nous traversons sans nous retourner cette étrange forêt plantée d’arbres égarés. Et puis enfin, après de nombreux km de sens interdit et de bikinis, se dessine la silhouette du chapiteau des Carampas.

A l’intérieur s’agite toute une foule, sautant, marchant, volant, rebondissant, pédalant, jonglant, chutant, riant, bref, c’est le cirque. Chacun rivalise d’adresse : là un chevelu jongle avec 5 balles alors que plus loin une gracieuse acrobate pratique le grand écart en poirier. C’est Marissa Agostini qui nous accueille dans sa caravane : « los dos cyclistes » s’exclame t’elle à la vue de notre uniforme. Il est vrai qu’on ne rencontre pas tous les jours deux frisés mal rasés avec le même blouson bleu, les mêmes casques, les mêmes bandes réfléchissantes, et les même shorts moulants ridicules, même quand on travaille dans un cirque. Marissa est la secrétaire de « l’Asociazion de Malabaristas » créée en 1988 par Javier, Donald et Rocio. Depuis 1994 l’école à fait son apparition et accueille 19 élèves professionnels chaque année. Il y reçoivent une formation poussées dans toutes les disciplines du cirque avant de se choisir une spécialisation. Le soir, l’école ouvre ses portes à tous, pour des entraînements « pistes ouvertes », des ateliers enfants et des spectacles thématiques.

Rafa et Marina, respectivement 23 et 21 ans viennent de Patagonie, à l’extrême sud de l'Argentine, et voilà un an qu’ils se produisent dans les rues de Madrid parallèlement à leurs études d’acrobates. A eux deux, ils ont fondés la troupe Chimi-Churri, du nom de la sauce épicée favorite de leur pays. Nous avons par contre toutes les peines du monde à inteviewer Mr Snatch, ce grand anglais aux airs de dandy. Il préfère jongler tant qu’il est chaud et viens tous juste de faire tomber sa quatrième massue, ce qui ne l’a pas mis de très bonne humeur. En plus de ça, sa partenaire semble faire un refus en bloc des médias télévisés que nous représentons, bien malgré nous, avec notre caméra. Cependant, tout s’arrange lorsque nous expliquons que nous avant tout de fiers représentant de la pédalerie errante. C’est un des autres avantages du voyage à vélo, chacun semble toujours avoir un ami, un oncle, un cousin, ou à au moins vu, dans un journal, à la télé, un voyageur à vélo, alors, on fait déjà un peu parti de la famille. Finalement, pour Mr Snatch, comme pour tous les autres, il y a l’Escuela officielle, celle du cirque, et l’autre, celle, indispensable pour s’assurer un petit revenu, de la rue. Ainsi, à 28 ans, voilà plus de huit ans qu’il vit sa bohème artistique de Londres à Barcelone, en passant en passant par Paris ou Buenos Aires, haut lieus de jongle s’il en est. Et le Week-End, avec tous les autres, c’est au Parc Retiro qu’on le retrouve pour de grand spectacles de plein air. Nous pauvres petits clowns pas même encore baptisés, ne pouvons que nous sentir à la fois ridicules et inspirés par les rencontres et l’essence du petit chapiteau. C’est décidé, prêts ou pas il va falloir nous lancer nous aussi dans l’arène…

Circo Criollo
Mercredi 5 février 2003. Buenos Aires Argentine. 5550 km

Depuis la France, nous avions pris contact avec une école de cirque au 1584, Calle Chile. Nous nous présentons un peu à l’improviste et sommes accueillis tout naturellement, comme si on nous attendais. On s’assied, nous découvrons le maté que l’on fait tourner, pour les invités. Peu à peu, nous deviendrons nous même de fervent adeptes de la yerba (prononcer cherba). Autour de nous pendent cordes, foulards, trapèze et échelles alors que sur les tapis reposent massues, balles, ballons, anneaux et chapeaux. Peu à peu le cercle des amis s’agrandit. Chaque nouvel arrivant, homme ou femme, nous salue, d’une petite bise sur la joue. Que lindo, comme on dit ici.
Jorge et Oscar les deux sexagénaires à l’origine de cette école sont tout deux des enfants de la balle, issus d’une grande famille de circassiens, depuis 1888. C’est ainsi que le Circo Hermano Vidallo est resté un des fers de lance du Circo Criollo durant près de 80 ans. Pourquoi le cirque créole ? Parce que chaque spectacle était suivi d’une pièce de théâtre, puis les deux arts se sont peu à peu mélangés. Et puis, la télé est arrivée, et peu à peu, elle a tué le spectacle, et les Hermano Vidallo ont quitté la piste pour fonder une école, la « Escuela de Circo Criollo ». D’abord destinée aux enfants des rues, elle accueille aujourd’hui une cinquantaine d’élèves de tous niveaux.
Avec vigueur, Jorge et ses cheveux blancs en bataille, nous fait partager sa passion du clown agitant ses bras en tous sens et ne s’arrêtant que pour siroter une gorgée de matée brûlant. Son frère, plus calme, cheveux noirs bien plaqué à droite, opine du chef, commentant parfois le discours de son aimé de quelques souvenirs choisis. Nous avons sorti la caméra et filmons ces deux incroyables personnages. A la demande générale, ils improvisent alors un sketch, comme au bon vieux temps. Fausses baffes, chutes, grosses blagues, avec un accent auquel je ne comprends rien, mais qu’importe la langue, on rigole quand même. Viens le grand final, Jorge 62 ans prend appui sur les bras tendus à la verticale de son frère, allongé à terre, et s’élève doucement pieds en l’air dans un poirier parfait. Chacun, même les plus anciens des élèves semble rester un instant éberlués, avant de lancer une salve d’applaudissements qui marque la fin du spectacle.
Alors, l’entraînement commence. Tout d’abord une séance d’échauffement aux acrobaties ou chacun viens rouler, tourner, sauter et chuter sur les épais tapis du gymnase. Puis, chaque élève s’entraîne à sa spécialité, et les deux hermanos se promènent entre chacun, prodiguant conseils et exercices. Jorge, directif, presque autoritaire, leur faisant répéter inlassablement les même exercices, Oscar, rigolant, suggérant, pointant les erreurs. L’un assure un couple de trapéziste en plein salto aérien, l’autre conseil un apprenti clown sur la meilleure façon de jongler avec son chapeau melon, dans un coin une fillette manie ses massues avec plus d’agilité que nous deux réunis, puis se lance dans une série de sauts périlleux, plus loin, un jeune éphèbe torse nu s’entraîne au poirier sur une barre parallèle, pendant qu’à côté on marche sur une boule. Jorge assiste maintenant une acrobate tenant sur une main un Y parfait avec ses jambes, Oscar quant à lui constate les progrès d’une élève qui fait tourner autour d’elle un diabolo comme si une mystérieuse forte magnétique le retenait collé à son corps.
Seb réalise le chemin qu’il lui reste à parcourir se jette sur quelques massues à l’abandon. Quant à moi, dont le chemin doit être encore plus long, je me contente de filmer chacun, découpant la scène en autant de fragments que je rassemblerais plus tard. Un pied en ballerine, un muscle tendu, une corde à nœuds, un saut de trapèze, un jongleur, une boule, le visage de Jorge, concentré, l’ombre d’un saut périlleux.